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 Hensies : 50 ans d'immigration turque 

   A Genk, le 6 mai 1963, arrivé en autocar du premier convoi officiel de 35 ouvriers turcs en provenance d'Ankara.
 
   Le 24 mai 1963, arrivé du premier contingent de 6 mineurs turcs en provenance d'Ankara aux charbonnages d'Hensies-Pommerœul.

 
   En 1956, une première expérience avait permis l’embauche, à titre d’essai, de travailleurs turcs mais avait été très vite suspendue en raison des difficultés de recrutement en Turquie. Pour Denis Yegin, cette décision résulte plutôt d’un renoncement des autorités turques, à la suite d’une analyse des conditions de travail dans les charbonnages belges faite par la Turquie, qui démontrait la médiocrité du matériel et de l’outillage utilisés, ainsi que le non-respect d’un minimum de sécurité. La catastrophe de Marcinelle du 8 août 1956 a pu également influencer d’éventuelles réticences turques.
  
   En 1961, la Belgique comptait à peine 320 résidents d’origine turque sur son territoire. Dix années plus tard, le nombre  de résidents turcs en Belgique avait grimpé jusqu’à 20.000 grâce aux politiques de recrutement. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée conjointement par le Centre de l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et le Centre de recherche en démographie et sociétés (Demo) de l’UCL.
 
   Les chercheurs ont enregistré le plus haut pic au 1er janvier de l’année 1994 avec  92.272 ressortissants turcs résidant en Belgique. En 2010, les personnes nées avec la nationalité turque représentent 1,4% de la population belge. Tenant compte de la nationalité des individus à la naissance, la nationalité turque est la cinquième population d’origine étrangère en Belgique, derrière les Marocains, les Italiens, les Français et les Néerlandais.

 
   "Le vœu du Gouvernement belge est que vous vous sentiez chez vous dans notre pays et que très rapidement
vous preniez votre place dans la vie sociale, dans la vie culturelle et dans la vie économique de la communauté
régionale au sein de laquelle vous allez désormais vivre et travailler."

 
   Message de Léon Servais (1907-1975), ministre belge de l'Emploi et du Travail, adressé aux travailleurs étrangers
dans la brochure : Bienvenue en Belgique, 1964.
 
   D’importants accords bilatéraux sont conclus en 1964 avec le Maroc (17 février 1964) et la Turquie (16 juillet 1964).
D’autres accords suivront avec la Tunisie (7 août 1969), l’Algérie (8 janvier 1970) et la Yougoslavie (23 juillet 1970).
Plus de 260.000 étrangers viennent travailler en Belgique entre 1961 et 1970.

Une partie de la communauté turque d'Hensies assistant à une séance de cinéma

Lieu : La salle de cinéma de l'hôtel du Vieux-Château, dans la rue de l'Eglise à Hensies.

   Au début des années 1960, la Belgique atteint le niveau de plein emploi et, en cette période d'expansion économique prévisible, élargit sensiblement les critères de dérogation à la réglementation sur la mise au travail des étrangers. Pour l'industrie houillère, qui sort tout juste d'un programme de restructuration, les recrutements opérés à l'étranger pour compenser son déficit chronique en main-d'œuvre s'annoncent d'autant plus difficiles que les bassins de prospection sont de plus en plus éloignés et que la concurrence en matière d'offres d'emploi, tant sur le marché du travail belge qu'au-delà des frontières, devient redoutable.
 
   Suite aux catastrophes de Quaregnon le 8 février 1956 (provoquant le décès de 8 personnes) et du Bois du Cazier à Marcinelle le 8 août 1956 (causant la mort de 262 mineurs dont 136 Italiens), l’Italie suspend l’émigration de travailleurs vers la Belgique. A partir de cette date, la Fedechar s'est tournée principalement vers l'Espagne et la Grèce (de nouvelles conventions bilatérales sont conclues avec l’Espagne (28 novembre 1956) et la Grèce (12 juillet 1957), permettant le recrutement de 15.000 hommes), tout en entreprenant, dans le même temps, quelques démarches auprès d'autres pays du bassin méditerranéen, comme la Turquie. Les tentatives de recrutement opérées en Asie Mineure ne donnent toutefois aucun résultat, tant en raison de la réputation exécrable des charbonnages belges - renforcée par les 262 morts du "Bois du Cazier" - que du fait des dispositions légales restrictives en vigueur en Turquie en matière d'octroi de passeports.
 
   En novembre 1962, les autorités turques recontactent la Fedechar et annoncent être en mesure de mettre quelque 9.000 travailleurs à la disposition de l'industrie charbonnière belge. Un préaccord est conclu en févier 1963 pour l'engagement d'un premier contingent de 1.000 travailleurs turcs, mais les autorités belges ne donnent leur aval qu'à la fin du mois de mars. Beaucoup d'interrogations continuent à se poser sur les capacités d'adaptation de cette main-d'œuvre.
 
   Lorsqu'au début des années soixante, les ouvriers turcs et marocains arrivent en Belgique, ce n'est plus seulement l'industrie extractive qui a besoin de ce supplément d'ouvriers. Les secteurs du bâtiment à Bruxelles, de la métallurgie à Anvers, du textile à Gand, et de la construction automobile à Genk, pour ne citer qu'eux, sont également confrontés à un déficit majeur en main-d'oeuvre.
 
   Entre 1962 et 1967, la demande de main-d'oeuvre est tellement forte que le Ministère de la Justice n'applique plus à la lettre la législation en vigueur. Les candidats immigrés peuvent arriver en Belgique avec un simple passeport touristique et faire régulariser ultérieurement leur situation.
 
   A l'opposé des industriels limbourgeois, largement satisfaits du nouvel apport que constitue la main-d'œuvre turque à partir des années 1962-1963, le patronat minier wallon ne cache pas, dans un second temps, sa préférence pour une main d'œuvre marocaine francophone.
 
   Le recrutement organisé au départ de Casablanca se révèle cependant nettement insuffisant - 451 Marocains contre 5.490 turcs en 1963 - pour constituer une réelle alternative à l'immigration turque, et la faible maîtrise de la langue française par les candidats chérifiens engagés par la Fedechar ne répond aux attentes.
 
   De plus, le recrutement de mineurs marocains ne passe du stade d'embauches individuelles à celui du recrutement de masse qu'à partir du mois d'août 1964, soit plus de quinze mois après l'arrivée des premiers contingents en provenance de Turquie.
 
   En 1962, la Turquie comptabilise déjà 33 premiers permis de travail à l'immigration délivrés pour le secteur minier. Depuis juin 1962, les charbonnages d'Helchteren-Zolder ont recrutés, à eux seuls, 28 travailleurs turcs.
 
  Au 31 janvier 1963, la Fedechar recense un total de 23 mineurs turcs parmi ses effectifs, tandis que l'Association charbonnière des bassins de Charleroi  et de la Basse-Sambre relève l'engagement par ses affiliés de 13 ouvriers turcs au cours de mars 1963, bien avant l'arrivée à Genk, au début du mois de mi de la même année, du premier convoi officiel de 35 ouvriers en provenance d'Ankara.


Indice des concentrations (au 1er janvier 2006) de la population née avec la nationalité turque

   Des brochures de propagande sont largement diffusées dans le bassin méditerranéen, invitant à venir travailler en Belgique et à s'y installer en famille.

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   "Travailleurs, soyez les bienvenus en Belgique!... Nous, Belges, sommes heureux que vous veniez apporter à notre pays le concours de vos forces et de votre intelligence… Émigrer dans un pays qui nécessairement est différent du vôtre, pose quelques problèmes d'adaptation. Ces difficultés initiales seront beaucoup plus facilement surmontées si vous menez une vie normale; c'est-à-dire une vie familiale… les travailleurs méditerranéens sont les bienvenus parmi nous, en Belgique".
 
   Fédéchar (La Fédération Charbonnière de Belgique) a pour objet l'étude de toutes les questions d'ordre général se rattachant à l'industrie houillière belge et la défense des ses intérêts. Toutes les sociétés charbonnières sont affiliées à des associations charbonnières qui se regroupent par bassin : Campine, Centre, Charleroi et Basse Sambre, Province de Liège et couchant de Mons (dont faisait partie la société S.A. des Charbonnages d'Hensies-Pommeroeul).
 

Provinces d’origine des immigrants de nationalité turque en Belgique

   Les premières traces, des accords belgo-turcs de convention de travail entre la Belgique et la Turquie, datent de novembre 1962 : les autorités turques offrent officiellement (via l'Office National de Placement des Travailleurs O.N.P.T.) de mettre à disposition un contingent de 9.000 travailleurs pour les mines belges et un contingent de 3.000 travailleurs supplémentaires pour d'autres industries belges.
 
   L'engagement des pourparlers s'engage le 1er avril 1963, une rencontre entre les représentants de la Fédération Charbonnière de Belgique (FEDECHAR) (dont le docteur Dofny : médecin dans les charbonnages d'Hensies-Pommeroeul)et la délégation turque est organisée à Ankara.
 
   Le 16 juillet 1964, la convention de travail entre la Belgique (son représentant : le ministre de l'emploi et du travail : Léon Servais) et la Turquie (son représentant : l'ambassadeur de la république de Turquie : Hasan Esat Işık) est signée le 16 juillet 1964; soit plus d'an après les premiers convois de mai 1963 et soit après que 9.948 turcs aient été recrutés , les futurs travailleurs turcs auront un contrat d'un an (le 30 octobre 1961, la convention de travail entre la RFA et la Turquie est signée, les futurs travailleurs turcs auront un contrat de deux années). 
 
   Les dix années qui suivent la signature de ces conventions, plus de 19 000 turcs arrivent en Belgique.
 
         
 Le logement des familles turques dans les régions minières
 
   Suivant le rapport rédigé en 1967 par le Conseil Turc du Travail de Bruxelles pour préparer la visite en Belgique du Premier Ministre Turc Süleyman Demirel, 85 pourcents des familles des ouvriers mineurs turcs occupent un logement du charbonnage dans lequel est employé le père. Il s'agit le plus souvent d'une maison unifamiliale ou d'un appartement proposé pour un loyer mensuel très avantageux (entre 500 et 700 FB).
 
   En ce qui concerne la qualité de l'habitat, les maisons des cités ouvrières et des cités-jardins, construites quelques décennies plus tôt par les sociétés charbonnières campinoises, présentent un état général de conservation sans commune mesure avec la plupart des vieilles masures exiguës, humides et crasseuses encore louées par leurs confrères du sud du pays. Les habitations limbourgeoises ne sont pas plus sans défaut, notamment au plan de leur superficie et de leur entretien par les sociétés de logements patronales.

 
   
Cependant, au-delà de ces inconvénients, somme toute secondaires, c'est le manque de logements qui devient le principal objet de préoccupation, surtout dans les première années de l'immigration turque. Il n'est pas rare, à cette époque, de voir deux familles se partager une même habitation. A Heusden-Zolder, sur les 280 familles turques établies en 1969 dans les cités Lindeman, Sint-Lutgardiswijk et Onder de Poort, une septantaine, soit un quart des familles, vivent auprès d'autres membres de leur famille ou de compatriotes, dans l'attente qu'une maison se libère. Certaines familles se résolvent même à chercher dans un premier temps sur le marché locatif privé des communes environnantes.
 
   Ces cités charbonnières demeurent aussi, en ces Golden Sixties, un exemple remarquable d'expression urbanistique d'un paternalisme industriel qui, bien que devenu anachronique en cette période d'émancipation de la classe ouvrière, parviennent encore à faire perdurer des rapports sociaux infantilisants entre le patronat houiller et ses ouvriers mineurs.

                                                                                                                                                                                                                               Les premiers logements des familles immigrés turcs à Hensies.
 
   La colonie (La Cité Sartis : la rue des Sartis) construite au Nord du Canal de Mons à Condé comprend 40 maisons (maison à 2 étages avec grenier et cave) pour les ingénieurs (4 maisons), employés et ouvriers belges regroupées par 2, 6 ou 10 logements, une hôtellerie, un magasin d'alimentation et un bâtiment d'école groupant 7 classes pour les sections maternelle et primaire.
 
   Une autre colonie (La Cité des Acacias), édifiée au Sud du canal et destinée aux ménages d'ouvriers étrangers, groupe 190 logements définitifs (baraquement à un étage, dépourvu de salle de bain, les toilettes sont installées à l'extérieur et les fosses d'aisance sont à vidanger régulièrement) et une vingtaine de logements d'attente.
 
   Et enfin, une troisième colonie (La Cité Lambert : la rue des Chiens) est constituée de 20 habitations groupées par deux, est bâtie à proximité du second siège d’exploitation (le siège "Louis Lambert"), caractérisées par leurs volumes bas coiffés de bâtières de tuiles à pans brisés. Sobriété des façades soulignées de frises de brique à hauteur de leurs baies.

     La cité des Acacias, des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul                         Rue des Sartis, des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul

Le gisement houiller belge se répartit en 5 bassins principaux : 
 
   En 1900, la Belgique était le quatrième pays au monde en termes de production de charbon. Petit à petit, les différents sites ont fermé leurs portes. Déjà avant la guerre, les charbonnages hennuyers (notamment) fermaient les uns après les autres.
 
   En 1875, la terre boraine comptait 41 sociétés charbonnières, en 1940, il en restait encore 10. Ensuite, il y aura encore d'autres vagues de fermeture des charbonnages du Borinage dont ceux entre 1952 et 1954 et ceux entre 1959 et 1961.
 
   Le nombre de sièges d'exploitation est passé de 106 à 63 entre 1958 et 1962. Le personnel minier s'est réduit durant la même période de 140.328 à 89.942 unités.
 
   En 1966, en Belgique, l'exploitation du charbon était le fait de 32 sociétés houillères belges. Le nombre de sociétés exploitantes a été ramené à 8 en 1975. Cette réduction s’est faite par fusion de sociétés dans le cas des charbonnages de Campine, et par fermetures de sièges et cessation d’activités dans le cas des charbonnages des bassins wallons. En outre, un plan de fermetures existe, aux termes duquel le dernier charbonnage wallon cessera toute activité extractive en 1984.
 
   A la fin de l'année 1964, l'industrie charbonnière belge est à nouveau en état de crise. Dix-neuf des trente-quatre sociétés encore en activités, représentant 63 pourcents de la production houillère nationale, ont clôturé l'année écoulée en déficit, alors qu'elles n'étaient que sept dans cette situation un an plus tôt (19% de la production houillère). Le secteur doit, en outre, procéder à la mise en chômage économique d'une grande partie de son personnel : on recense ainsi, en 1965, plus de 1.600 chômeurs partiels en moyenne par jour.
 
   L'augmentation importante de la consommation intérieure de charbon domestique, favorisée par les conditions atmosphériques de l'année 1962 et de l'hiver 1962-1963, avait momentanément permis d'accroître le niveau de la production et, du même coup, de ralentir le programme d'assainissement du secteur charbonnier tel qu'il fût convenu en 1959 entre les autorités belges et la haute Autorité de la CECA.
 
   Le gouvernement belge avait également été entravé par le malaise que suscitait la perspective du sacrifice final à imposer à une région économiquement et socialement sinistrée comme le Borinage. En septembre 1964, la détérioration des résultats d'exploitation apparaissant désormais irréversible, le DIC soumet au gouvernement un rapport intitulé "Propositions pour une politique charbonnière à moyen terme 1964-1970" qui préconise une sérieuse diminution des quotas de production, ainsi que l'octroi d'aides substantielles aux entreprises en difficulté. Le maintien de la production à son niveau du moment exigerait la mise en œuvre de moyens financiers considérables et constituerait une charge insupportable pour l'économie nationale.
 
   Les pouvoirs publics ne peuvent plus tergiverser face à l'impérieuse nécessité de poursuivre la restructuration d'une industrie qui occupe encore une part importante de la population active, mais est très largement dépassée par ses concurrents étrangers, principalement en raison des conditions géologiques des ses gisements, de même que, du point de vue des alternatives énergétiques, par l'accroissement des parts de marché du pétrole et le potentiel qu'offrent les réserves néerlandaises en gaz naturel.
 
   Bien que ces perspectives nouvelles, inspirées par l'évolution conjoncturelle et structurelle du marché international de l'énergie, provoquent du mécontentement dans les milieux wallingants et au sein de la gauche chrétienne, socialiste et communiste, les réactions sociales restent mesurées.
 
  Dans ses mémoires, l'ancien Premier Ministre social-chrétien Gaston Eyskens - ministre des Finances à l'époque des débats - reconnaît volontiers que l'impression que la mesure était de nature communautaire n'était pas tout-à-fait infondée. Il est vrai qu'au cours des débats parlementaires, le ministre des Affaires Economiques, le socialiste bruxellois francophone Marc-Antoine Pierson, rappelle à plusieurs reprises que ce sont essentiellement des charbonnages wallons (67 sur 68 sièges) qui ont fait l'objet de fermetures depuis 1956, que ces fermetures ont entraîné la perte de 60.000 emplois en Wallonie pour seulement 7.500 en Campine, et que les mines wallonnes ne doivent pas être les seules à faire l'objet de mesure de restructuration.
 
   La dernière houillère du bassin liégois, celle de Blégny-Trembleur, cesse toute activité en 1980.
 
   Le Roton de Farciennes, le dernier charbonnage wallon fermait ses portes le 30 septembre 1984. Les 1 200 derniers mineurs wallons remontaient une dernière fois de la fosse. C'est une page, un pan entier de l'histoire industrielle wallonne qui se tourne définitivement.
 
   Le Roton avait été choisi pour absorber le choc social et économique de la fin de l'exploitation du charbon. La fin du Roton, c'est le point final d'un vaste plan de fermeture des charbonnages enclenchés des années plus tôt. Mais la fin du Roton, c'est la fin d'un métier. C'est une page qui se tourne. C'est la fin d'un cycle économique.
 
   Le Roton allait débuter sa mission de récupération de mineurs d'autres sites qui étaient condamnés. C'est ainsi que les ouvriers des charbonnages d'Hensies-Pommerœul, de Monceau-Fontaine, d'Aiseau et des Aulniats, l'autre charbonnage de Farciennes se retrouveront sur le site du Roton. Au total, 3.000 personnes viendront travailler sur le site. Mais au moment de sa fermeture, 638 mineurs descendaient encore au fond. Et parmi eux, 82% étaient des étrangers, essentiellement des Musulmans provenant de la dernière génération d'immigrés.
 
   Ces derniers ouvriers issus de la dernière vague d'immigration furent à la base du report de la date de fermeture postposée de 1981 à 1984. Beaucoup d'entre eux et notamment des Turcs ne possédaient pas assez d'années de travail pour accéder à la prépension ou la pension. Voilà comment donc le conflit social a été réglé.
 
   L'étalement des fermetures de charbonnages jusqu'au début des années 1990 permet quant lui aux ouvriers mineurs turcs de la première génération de faire une carrière complète dans le secteur. C'est ainsi qu'en 1981, l'industrie charbonnière occupe encore plus d'un quart de la population active turque du pays et plus d'un tiers de sa composante masculine.
 
   Cet étalement des fermetures, et les transferts interrégionaux de main-d'œuvre qu'il implique, influence également l'évolution de la répartition géographique de la population turque entre 1977 et 1981. La part de la région flamande passe, durant ce court laps de temps, de 39 à 48 % tandis que celle de la région wallonne diminue de 37 à 27 %, alors même que le nombre d'habitants de nationalité turque ne progresse que de 7 % sur l'ensemble du pays.
 
   Lorsque, le 30 septembre 1992, le dernier charbonnage de Belgique ferme ses portes à Zolder, l'immigration des Golden Sixties n'est déjà plus que le lointain souvenir d'un âge d'or industriel révolu. Pire encore, depuis plusieurs années déjà, les travailleurs migrants qui sont arrivés en Belgique au cours de cette période et ont décidé de s'y établir définitivement avec leurs familles, de précieux facteurs de production qu'ils étaient, se sont métamorphosés en étrangers non désirés.
 
   Pour faire face à ce "problème des immigrés", les pouvoirs publics ont élaboré des politiques d'intégration marquées, d'une part, par les effets de la déstructuration et de la désaffiliation, dues à la crise de l'emploi, sur les populations issues de l'immigration et, d'autre part, par un racisme culturel et politique stigmatisant tout particulièrement le "péril musulman" symbolisé par les populations maghrébines et turques, devenues les principaux boucs émissaires de la crise socioéconomique.
 
   Les travailleurs migrants des Golden Sixties doivent-ils être considérés comme une main-d'œuvre d'appoint temporaire qui aurait fortuitement ou accidentellement fini par s'établir dans le pays ? 
 
   Le Bassin du Borinage 14% de la production belge
S'étendant à l'Ouest de Mons jusqu'à la frontière française et se développant notamment sous les localités de Blaton, Quiévrain, Quaregnon, Jemappes, Hensies, Saint Ghislain, Hornu, Frameries, Pâturages, Flénu, Nimy, ...
 
   Le Bassin du Centre 12% de la production belge
A l'Est de Mons, avec Havré, Maurage, Obourg, Strépy, Houdeng, La Louvière, Haine Saint Paul, Haine Saint Pierre, Manage, Morlanwez, Trazegnies, Binche...
 
   Le Bassin de Charleroi-Namur 24% de la production belge
A l'Ouest et à l'Est de Charleroi avec Anderlues, Thuin, Lobbes, Monceau sur Sambre, Fontaine l'Evêque, Marchienne au Pont, Montignies, Gosselies, Jumet, Ransart, Couillet, Marcinelle, Gilly, Châtelineau, Tamines, Aiseau, Auvelais, Andenne...
 
   Le Bassin de Liège 15% de la production belge
Depuis Wanze jusqu'à la frontière Est avec Jehay-Bodegnée, Loncin, Horion-Hozémont, Velroux d'une part, tout le bassin industriel de Liège depuis Chockier jusque Herstal, Jupille, Wandre et Milmort et la plus grande partie du plateau de Herve avec Micheroux, Blegny, Romsée, Battice...
 
   Le Bassin de la Campine 35 % de la production belge
S'étendant dans les environs de Beringen, Helchteren-Zolder, Houthaelen, Genk, Eisden...

                           la société S.A. des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul (photo du musée de la mine d'Harchies)

   La société des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul exploitait les concessions de "Hensies-Pommeroeul" et "Nord de Quiévrain" Réunies sur une superficie totale de 1895 hectares, juste à la limite de la frontière franco belge dans le nord du Borinage. Le premier sondage, en vue de déterminer la valeur des terrains houillers sera entrepris en 1838 sous l'égide du Duc d'Aremberg.
 
   D'autres travaux de reconnaissance seront menés par la suite par la société Don, mais c'est seulement au vingtième siècle, en 1908 et 1912, que deux sondages encore plus profonds sont réalisés suite à un accord entre les propriétaires des concessions de la "Société anonyme Belge d'entreprise de forage et de fonçage Foraky". Deux sièges seront exploités sur la concession, le "siège des Sartis" (a été exploité de 1918 à 1976) et le "siège Louis Lambert" (a été exploité de 1926 à 1966).
 
   Les opérations de creusement des puits débutent en 1913. Interrompues par le premier conflit mondial, elles reprennent en 1915 pour se terminer dès la fin de guerre. L'exploitation normale du charbon commence donc à la fin de 1918. Ce premier siège est implanté dans un lieu inhabité, à mi-chemin entre les villages d'Hensies et de Pommeroeul, le long du canal Mons-Condé. Aux installations traditionnelles d'extraction, se joignent un triage lavoir, une fabrique d'agglomérés, une centrale électrique et tous les services annexes du charbonnage. 
fin d'attirer la main d'œuvre nombreuse nécessaire aux travaux souterrains, la société décide peu après de construire deux colonies de logements pour le personnel, à proximité immédiate du charbonnage. Et après 1926, un troisième colonie de logements voit le jour à côté du "siège Louis Lambert".

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   Ces deux sièges, très modernes pour l'époque, vont contribuer nettement à la production totale du Borinage, en l'augmentant de 23 %. Le gisement produit essentiellement des charbons plus maigres à usage domestique. La modernité des installations, la régularité du gisement et l'épaisseur des couches exploitables permettent d'avoir recours assez rapidement à une mécanisation massive.
 
   La société charbonnière d'Hensies-Pommerœul pourra ainsi survivre aux premières et seconde vagues de fermeture (1952-54 et 1959-61) des charbonnages du Borinage qui ne produisent essentiellement que du charbon gras industriel soumis à une rude concurrence. Néanmoins, le "siège Louis Lambert" est fermé en 1966. (il porte le nom du Premier Directeur de la Compagnie, Louis Lambert. Ce siège était équipé de 2 puits, le puits n°2 et le puits n°2 bis. Il sera implanté au cœur même du village d'Hensies à un peu plus d'un kilomètre du "siège des Sartis".
 
   Le siège des Sartis fermera finalement ses portes le 31 mars 1976. Ce qui fera de lui, le dernier du Borinage. Une autre de ses particularités était qu'il avait une partie importante des bâtiments édifiée en "Modern Style", une des déclinaisons de l'Art Nouveau. Parmi ces constructions, le bâtiment des bains douches, le bâtiment des machines d'extraction et de la centrale électrique, ceux de la recette et même les chevalements dont les toitures s'harmonisaient avec l'ensemble.
 
   La société aura le même soucis de raffinement architectural pour la construction des installations de surface du siège Louis Lambert. Ce seront à ce titre les seuls exemples d'architecture industrielle dans le Borinage faisant appel à l'Art Nouveau et au Modern Style. La présence d'Adolphe Max, ministre d'Etat et bourgmestre de Bruxelles, ou encore d'Emile Jacqmain, avocat et échevin de la ville de Bruxelles dans le conseil d'administration de la société n'était sans doute pas étrangère à ces choix architecturaux dont on retrouve des exemples prestigieux dans la capitale.
 
   Comme on peut s'en douter, toutes ces considérations "émotionnelles", ultime charbonnage Borain ou ensemble architectural remarquable, n'eurent que peu de poids face aux intérêts financiers des liquidateurs, et toute la partie technique du "siège des Sartis" fut jetée bas en 1980-81. Seuls subsistèrent les bâtiments administratifs et un ou deux ateliers, encore occupés quelques années, le temps d'achever la liquidation des actifs. Après quoi, l'ensemble fut laissé à l'abandon, au saccage et au pillage. Fort heureusement, la totalité des archives comprenant notamment plans et photos a été sauvée par l'Asbl Sauvetage des Archives des Charbonnages du Couchant de Mons (SAICOM). Du matériel a même été préservé par le Musée de la Mine d'Harchies, en plus d'autres vitraux récupérés dans le bâtiment de la centrale électrique.

                                                                      Les primo-migrants

 

   L'écrasante majorité de la génération des primo-migrants restera jusqu'au crépuscule de son existence préoccupée, voire tourmentée, par l'idée d'un retour définitif au pays, devenant de plus en plus abstrait au fil du temps et des nouvelles générations, et la renvoyant perpétuellement à une situation "schizophrénique" (ne trouvant plus ses marques en Turquie, ne trouvant pas encore sa place en Belgique).

Certains mineurs des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul, devant de la photo (Åžeref Kandemir)

Les critères de sélection de la main d'oeuvre turque :

 

   L'âge du candidat doit se situer entre 20 et 35 ans, sauf s'il a déjà travaillé dans la mine; auquel cas, la limite d'âge est portée à 45 ans. Seuls sont acceptés les travailleurs ayant l'habitude des travaux manuels lourds (agriculteurs, ouvriers d'autres industries que les mines...).

 

Les priorités de recrutement de FEDECHAR :

 

   Au départ, il n'y a que quatres régions turques qui seront ouvertes au recrutement pour les mines belges :

 

Ankara, la capitale.

Kayseri, province de Césarée au sud-est d'Ankara, au centre de l'Anatolie.

Zonguldak, le plus grand bassin minier de charbon en Turquie.

Trabzon, province sur la Mer Noire.

 

   Cinq autre régions vont venir s'ajouter au recrutement : Konya, Sivas, Sakarya, Eskisahir et Giresun (est une région minière également).

 

Les modes de transport et la cadence des départs :

 

   Le transport par chemin de fer a été envisagé mais jamais appliqué à cause du retard que cela pouvait entraîner. Il pouvait engendrer une autre difficulté : la traversée par la Yougoslavie et la Bulgarie donne souvent lieu à des incidents.

 

   Ils décident alors d'assurer le transport par autobus. Les départs au départ d'Ankara pour la Belgique débutent le 1er mai 1963. Le 6 mai 1963, un premier contingent de 35 Turcs arrive à Genk par autocar. Cette alternative est abandonnée dès le mois suivant, le trajet prend trop de retard et provoque une grande fatigue des futurs mineurs turcs (le transport par autobus, d’une durée de quatre jours et quatre nuits avec une seule nuit de repos, les conditions météorologiques sont éprouvantes mais aussi à cause de la perte de temps liée à l'attente de la délivrance des visas de transit yougoslave et bulgare et des risques de désertion lors de la traversée de la RFA, où beaucoup de travailleurs ont des connaissances).Quelques Turcs n’ont pas attendu la mise en place d’une telle structure pour se rendre en Belgique; au 31 janvier 1963, 23 mineurs de nationalité turque sont déjà au travail dans les mines belges.

 

   Le transport par avion sera effectif à partir de juin 1963. Ce sera surtout la compagnie aérienne Turkish Airlines qui s'occupera du transport des ouvriers turcs vers la Belgique (elle offre des conditions de transport plus avantageuses que la Sabena, est par ailleurs, pour la Fedechar, une question de prestige auprès des autorités turques avec lesquelles une délégation néerlandaise vient, au même moment, d'établir ses premiers contacts). Ainsi, le 5 juin 1963, un avion de Turkish Airlines débarque 56 travailleurs à Zaventem. A l'initiative de Jean Ligny, un influent patron houiller carolorégien, l'aérodrome de Gosselies est également prévu pour l'atterrissage hebdomadaire d'un convoi aérien. Le 10 juin 1963, réception d'un premier avion comprenant 56 ouvriers turcs qui se pose à l'aéroport de Gosselies, comprend un tiers de mineurs turcs qui ont déjà travaillé dans des mines turques. La cadence est soutenue : un véritable pont aérien relie l'aérodrome d'Ankara et d'Istanboul à celui de Zaventem et Gosselies (trois à quatres avions par semaine tranportent uniquement des ouvriers turcs pendant les années 1963 et 1964).

 

   Dès leur arrivée à l'aéroport, au terme de la procédure d répartition des candidats entre les différentes sociétés minières et le transport en autocar vers le charbonnage désigné, les recrues turques sont dirigées vers une cantine où un repas ou une collation leur est servi. Dans certains charbonnages une avance sur leur première paie leur est également remise.

 

   Avec l'organisation par la Fedechar des recrutements au départ d'Ankara, ce ne sont pas moins de 12.502 candidats-mineurs turcs qui sont acheminées en 249 convois de transport - par autobus au cours du mois de mai 1963, puis par avion à partir du mois de juin - , du 6 mai 1963 au février 1965, vers 36 des 38 sociétés minières belges encore en activité. 

9 décembre 1963 : le vol Istanbul-Charleroi de la compagnie aérienne Turkish Airlines (l'avion : un Vickers Viscount 794D). A bord de l'avion, des futurs immigrés turcs à destination de la Belgique. Debout au fond de l’avion, on distingue à côté du pilote, Jean Ligny, le puissant patron du charbonnage de Monceau-Fontaine où le groupe ira travailler.

9 décembre 1963 : le vol Istanbul-Charleroi de la compagnie aérienne Turkish Airlines (l'avion : un Vickers Viscount 794D). Arrivés des primo-arrivants turcs sur le tarmac de l'aéroport de Gosselies Charleroi.

   En comparaison aux migrations ouvrières turque à destination des autres pays ouest-européens, celle à destination de la Belgique se distingue, pendant les premières années, par un caractère exclusivement mono-sectoriel. En effet, des 13.917 candidats envoyés par l'IIBK (office de l'emploi turc) en Belgique entre 1963 et 1965, tous, sans exception, sont destinés au secteur houiller.
 
   Les années 1963, 1964 et 1965 représentent 93% du recrutement officiel total d'ouvriers turcs .
 
   Pour la période 1961-1967, la Belgique occupe la deuxième place dans les pays vers lesquels se dirige la main-d'oeuvre turque.
 
  Au cours de l’année 1963, 5.605 Turcs sont recrutés par Fédéchar, contingent auquel il faut ajouter 756 ‘touristes’ engagés sur place (c’est-à-dire en Belgique) par les entreprises minières belges. Dans l’ensemble, 14.364 Turcs seront recrutés officiellement entre 1963-1965 et 1970-1971 par l’industrie charbonnière belge, auxquels il faut ajouter 
1.600 Turcs venus par leurs propres moyens et engagés par les charbonnages entre 1963 et février 1965.
 
   En cette année 1969, 39 % des travailleurs turcs sont là depuis 4 à 7 ans. Plus de la moitié des travailleurs envisagent de retourner en Turquie après une période d’environ 5 ans.
 
   
Les premiers travailleurs turcs sont arrivés aux charbonnages d'Hensies-Pommeroeul en 1963.
 
En 1963 : 205 travailleurs turcs (au 18/04/1966, il ne reste plus que 13% des contingents de 1963) .
En 1964 : 189 travailleurs turcs.
En 1965 : 330 travailleurs turcs parmi lesquels 158 avec contrat et 172 touristes.
Entre le 25/08/1965 et le 18/04/1966, engagement de 358 ouvriers turcs.
 
A partir de 1968, d’autres mineurs turcs viendront travailler aux charbonnages d'Hensies-Pommerœul venant d’autres sociétés houillères qui ont fermées. Par exemple :
 
   De Cuesmes : le 2 mars 1968, le puits de l'"Heribus" de la S.A. des charbonnages du Levant du Flénu cesse ses activités.
   De Tertre :  le 30 avril 1971, fermeture du puits no 3 des charbonnages du Hainaut à Tertre, 34 ans après le début de ses activités.
   Du Bois-du-Luc : fermeture du puits "du Quenoy" à Trivières, le 30 juin 1973.
   et du bassin de Liège.

A partir des années 1970, les fils des mineurs turcs de la société seront aussi engagés pour travailler en surface.

                        La cantine des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul
      Ancien couvent des frères maristes (construit en 1903 - détruit en 1981)

   Une fois arrivés sur place, 5.490 des 5.605 candidats recrutés par Fedechar à Ankara au cours de l'année 1963 sont effectivement mis au travail au terme d'un troisième examen médical effectué par les charbonnages. Parmi les éléments recalés, 66 individus sont reconnus inaptes, tandis que 47 candidats signifient dès leur arrivée leur refus de travailler.756 ressortissants turcs ("touristes" venant de leur propre moyen) sont engagés en supplément des contingents amenés de Turquie au cours de l'année 1963, soit 12 pourcents de la main d'œuvre turque effectivement mise au travail. 647 d'entre eux, soit 85 pourcents de l'effectif, se retrouvent dans le seul bassin de Campine. 

 

   Des 6.648 candidats turcs recrutés en 1964, 6.524 sont définitivement engagés. La proportion des candidats inaptes (106) est équivalente à celle de l'année précédente, mais le nombre de refus à l'arrivée (18) est en nette diminution. En1964, ce sont 662 nationaux turcs ("touristes"), soit 9 pourcents des effectifs turcs effectivement mis au travail, qui, en se répartissant toutefois de façon plus homogène entre les différents bassins, trouvent du travail dans ce secteur en complément des convois officiels. 

 

   Les 6 premières semaines de l'année 1965 voient encore arriver 251 candidats recrutés en Turquie par la Fedechar. De la reprise des recrutements à partir de septembre 1965 jusqu'à la fin du mois de décembre 1965, 1.410 Turcs sont encore acheminés par convois officiels depuis le centre de recrutement d'Ankara  vers les différents bassins charbonniers belges. Des 1.661 candidats recrutés au cours de l'année 1965, 1.632 sont mis au travail, 23 sont reconnus inaptes et 6 refusent le travail. Du 1er janvier au 30 avril 1965, soit plus de deux mois après la décision prise par le ministère belge de l'Emploi et du Travail de ne plus délivrer jusqu'à nouvelle ordre de nouvelles autorisations au secteur houiller en raison du chômage économique instauré dans quelques sièges wallons et campinois, 182 "touristes" turcs sont encore recrutés par l'un ou l'autre société minière.

 

   Sur les 13.914 recrues turques amenées en Belgique par la Fedechar durant cette période, la proportion des inaptes et des récalcitrants atteint à peine les deux pourcents, confirmant par là même l'efficacité de la sélection médicale et professionnelle opérée au départ de la Turquie.

 

   Le recrutement organisé en Turquie dépasse de très loin en importance aussi bien ceux réalisés dans les anciens bassins de recrutement grec et espagnol que celui opéré au Maroc, l'autre nouvelle zone de prospection.

 

   De mai 1963 jusqu'en avril 1965, les charbonnages auront recruté pas moins de 14.137 travailleurs turcs, soit par convois soit comme "touristes".

 

   L'industrie charbonnière belge aura finalement recruté pas moins de 17.173 candidats migrants turcs entre 1962 et 1969 (ouvriers envoyés par l'office de l'emploi turc et les ouvriers "touristes"). Cela représente plus du double des ouvriers marocains (7.961) engagés au cours de la même période.

 

Salaire journalier en franc belge des mineurs turcs aux charbonnages d'Hensies-Pommeroeul (04/1966)

 

Pour le siège des Sartis :

 

Salaire moyen des manœuvres                          : 349 Fr

Salaire moyen des ouvriers à veine                   : 481 Fr

Salaire moyen des meilleurs ouvriers à veine  : 562 Fr

Salaire maximum des ouvriers à veine             : 590 Fr

 

Pour le siège Louis Lambert :

 

Salaire moyen des manœuvres                         : 343 Fr

Salaire moyen des ouvriers à veine                   : 450 Fr

Salaire moyen des meilleurs ouvriers à veine  : 627 Fr

Salaire maximum des ouvriers à veine             : 630 Fr

 

Les ouvriers à veine travaillaient à marché : ils devaient extraire un certain nombre de m3 en une journée.

L'immigration turque à Hensies
 
   
C'est en 1963 que les premiers immigrés turcs sont arrivés à Hensies. Au départ, ce sont des hommes seuls, qui économisent patiemment leur salaire avant de l'envoyer à la famille restée au pays. Ils logent dans des chambrettes, à l'Hôtellerie de la société Les charbonnages d'Hensies-Pommeroeul, par exemple, ou à l'ancien couvent de Pommeroeul.
 
   Progressivement, femmes et enfants les rejoignent. Bon nombre de cellules ainsi reconstituées s'installent dans les maisons de la rue des Sartis et dans la Cité des Acacias. Et à partir de 1970, ils se relogent dans des cités d'habitations sociales construites tout expressément par le Foyer Hensitois.
 
   Le siège des Sartis fut le dernier charbonnage en exploitation dans le bassin borain : quand il ferma ses portes, le 31 mars 1976, l'extraction du précieux combustible, qui avit fait la renommée du Borinage pendant de longs siècles, appartint au passé. Pour les quelques dizaines de ces dernières gueules noires du Borinage, dont beaucoup de nationalité turque, quittant les Sartis, le destin sera pareil : Pour nombre d'entre eux, ce sera le reclassement dans les cinq derniers charbonnages du bassin de Charleroi avec à la clé un long déplacement quotidien en car. Certains, les plus jeunes, écriront même les ultimes pages de l'aventure du charbon en Wallonie avec la fermeture du charbonnage du Roton le 30 septembre 1984.
 
   Pour une autre partie du personnel, ce sera la retraite pure et simple. Environ 30% des Turcs rentreront au pays. Les autres s'implanteront définitivement dans la région. Parce qu'ils ont une brique dans le ventre, ils rachètent bon nombre de maisons locales, parfois en piteux état. Avec l'aide des frères, des cousins et des amis, ils les restaurent impeccablement.

La publication du "bulletin des travailleurs turques"  (1964-1970)
 
   Un Bulletin des travailleurs turcs sera diffusé une fois par mois, sous la forme d'une couverture imprimée renfermant des feuilles ronéotypées. Provisoirement, la distribution se fera uniquement aux ouvriers occupés dans les charbonnages.
 
   Le Bulletin devra fournir des renseignements d'ordre pratique (pécule de vacances, avantages dus à l'assiduité avec des exemples chiffrés, jours fériés, diverses explications sur les variations de salaires ou l'index, …).
 
   Mais aussi et surtout informer des événements et faits divers: les arrivées des familles, les naissances, les décès, l'inauguration de mosquées, le nombre de mineurs turcs encore employés chaque mois…
 
Le premier numéro sort en août 1964. Ce bulletin est édité en trois langues : turc, français et néerlandais (les versions françaises et néerlandaises sont destinées aux charbonnages, et ne sont que la traduction du contenu en langue turque du bulletin).

   Dans les années soixante,  le patronat a fait appel à l’immigration turque, également employée dans les dernières  mines encore en activité dans le Borinage ( S.A. des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul : fermeture le 31 mars  1976) avant de former le gros de la main d’œuvre ouvrière de certaines entreprises connues pour la dureté de leurs                     conditions de travail (l’usine de verre Durobor, de Soignies, par exemple) .

 
                Le SAICOM a pour but la sauvegarde des archives industrielles du bassin du Couchant de Mons.
 
                (Sauvegarde des Archives Industrielles du Couchant de Mons :  
http://www.saicom.be/)

              La gare des « Sartis » (photo : SAICOM)                                            La cité des Acacias (photo : SAICOM)

   La ligne de chemin de fer : 78A (renumérotée ultérieurement 80) Blaton - Bernissart fut ouverte en novembre 1876 (distance entre Blaton et Bernissart : 5 km). A partir de 1927, la ligne privée industrielle des charbonnages d’Hensies – Pommeroeul prolonge la ligne 80 vers la gare des "Sartis" (distance en la société houiller et la gare de Bernissart : 6 km).  Elle déroula une caténaire de type tramway au-dessus de ses installations  et prolongea celle-ci jusque dans le faisceau marchandises de Bernissart SNCB. Le courant de traction produit par le charbonnage avait une tension de 550 volts continu. Cette ligne fut la première ligne industrielle belge exploitée en traction électrique. 
 
   Grâce à ce raccordement ferroviaire, elle organise, comme à Bois du Luc, en plus de l'écoulement de sa production, le transport pour son personnel venant de loin. Chaque jour, venant de Blaton, 1.600 mineurs empruntaient cette ligne. 3 locomotives électriques (des BB à quatre essieux moteurs de 40 et 30 tonnes, construites par les ABR et les ACEC) et des locomotives à vapeur y circulaient. Le trafic des voyageurs fut supprimé en 1961 sur la ligne 80 et il a été transféré sur route le 2 septembre 1963. Le trafic marchandises assuré sur cette ligne privée fut définitivement fermée en 1979.

   Une forte colonie turque, fournissant aux mines une abondante main-d'oeuvre, s'est établie à Hensies, cité cosmopolite; en 1970, on y recensait 464 Turcs des deux sexes dans l'arrondissement de Mons; ils constituaient plus du tiers des 1.481 étrangers (sur 3.086 habitants) domiciliés dans la commune. D'un point de vue socio-professionel à la même époque, 311 personnes, sur un total de 882 actifs, y étaient encore, en raison du maintien de l'extraction charbonnière, occupées dans le secteur énergétique.

Etage 600 du siège des Sartis de la S.A. des Charbonnages d'Hensies-Pommeroeul (1962).    (photo de Désiré Deleuze)

Berlines tractées par locotracteur diesel et envoyage. Etage 710 du siège des Sartis de la S.A. des Charbonnages d'Hensies-Pommeroeul (1962).    (photo de Désiré Deleuze)

   En aout 1964 : arrivé d'un haut fonctionnaire du Ministère du Travail de Turquie, Mr. Nuri Üzel : premier Attaché du Travail , puis Conseiller du Travail auprès de l'Ambassade de Turquie à Bruxelles de 1964 à 1969.

Plaque d'interdiction de fumée à l'usage des mineurs turcs
aux charbonnages d'Hensies-Pommeroeul (photo du musée de la mine d'Harchies)
 
Recrutement de main d'oeuvre turque par la fédération des charbonnages de Belgique 
                                                             (FEDECHAR)

                           1.963   1.964   1.965   1.970   1.971   TOTAL

     CAMPINE   1.784   2.569      316        67      133     4.869
        CENTRE      257      407        79          0        37        780
CHARLEROI   1.555   1.514      627         33     126     3.855
            LIEGE   1.564   1.726      456           0       54     3.800
           MONS       443     432       183          0         0         615
          TOTAL   5.603   6.648   1.661       100     350    14.362

Placement d'une bèle métallique.Taille Léopold au siège des Sartis de la S.A. Charbonnage d'Hensies-Pommeroeul (1962).

(photo de Désiré Deleuze)

Puits avec cuvelage en maçonnerie et guidonnage en bois. Niveau 710 du puits de retour d'air du siège des Sartis de la S.A. des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul (1959).   (photo de Désiré Deleuze)

     Le regroupement familial des ouvriers mineurs turcs:
 
   Sachant que le regroupement familial influence positivement la stabilité de la main-d'oeuvre, ainsi que les problèmes démographiques, la Fédération Charbonnière de Belgique l'encourage. En application d'une politique de stabilisation familiale qu'elles promeuvent de longue date, les sociétés minières proposent rapidement à leurs nouvelles recrues turques d'organiser un séjour en famille, notamment en leur accordant des prêts sans intérêt pour couvrir les frais de voyage et l'achat de biens mobiliers.
 
   En effet, le coût du voyage par avion s'élève à environ 5.000 FB par adulte, à 2.750 FB par enfant âgé de 2 à 12 ans et à 750 FB pour un enfant de moins de deux ans, alors que le salaire mensuel de l'ouvrier mineur débutant est environ 6.000 à 7.000 FB, sans les allocations familiales. A cela s'ajoutent d'autres dépenses : loyer d'un appartement ou d'une maison, frais d'aménagement, acquisition de mobilier, frais divers de la vie de famille, etc.
 
   La Fedechar prend également en charge les démarches administratives pour faciliter la venue des familles. Les dossiers comprenant l'autorisation maritale, un certificat de logement décent et une attestation d'emploi sont expédiés au Centre de recrutement de la Fedechar qui, en sa qualité de bureau de liaison, les documents nécessaires à l'émigration des familles (passeports, certificats de composition de famille, etc.), et sollicite auprès des instances consulaires belges les autorisations de séjour provisoire indispensables à l'installation en Belgique. Le bureau de liaison de la Fedechar à Ankara encadre les familles des travailleurs jusqu'au moment du départ et l'organisation-mère reprend le relais en Belgique, en assurant leur accueil et leur transport jusqu'au charbonnage où les attend le pater familias. Les premières familles turques arriveront dès le mois d'août 1963.
 
   Les autorités belges apportent aussi leur contribution à cette politique en ramenant à un mois le délai de travail à accomplir par le travailleur migrant avant d'entamer les formalités de réunification familiale. Dans la pratique, cela permet une installation familiale après seulement trois mois d'activité. Cette mesure est même coulée en force de loi dans l'article 11 de la convention belgo-turque sur l'emploi de la main-d'œuvre et, dans certains cas particuliers, le travailleur pourra même être autorisé à faire venir des ascendants qui sont à sa charge.
 
   Si l'arrivée des familles intervient généralement quatre à six semaines après l'introduction de la demande, des retards se produisent quelquefois en raison de dossiers incomplets, de documents mal remplis par les services sociaux des charbonnages, du changement d'adresse de l'épouse, ou des lenteurs de l'administration turque. Le préjudice est important pour les travailleurs concernés, qui se trouvent déjà dans l'obligation de payer le loyer de l'habitation unifamiliale qu'ils ont réservée.
 
   D'autres obstacles sont aussi importants, comme la crainte de l'épouse de se rendre en Europe ou l'interdiction des parents et des beaux-parents, qui préfèrent que le noyau familial reste à leurs côtés pour continuer à bénéficier d'importants transferts d'argent. Ces derniers obstacles expliquent en grande partie la raison pour laquelle plus de la moitié des mineurs turcs préfèrent faire venir eux-mêmes leur famille, le plus souvent en allant les chercher à l'occasion d'un congé.
 
   Ainsi, en janvier 1965, sur 455 familles turques installés en Belgique, seules 178 sont arrivées par l'entremise de la Fedechar. Cependant, dans ces conditions, les entreprises sont beaucoup moins enclines à accorder des avances sur salaire, puisqu'elles n'ont aucune garantie que l'ouvrier reviendra effectivement au charbonnage. Certains travailleurs devront donc s'endetter auprès de leurs compatriotes pour réaliser ce coûteux projet d'installation familiale, surtout s'ils ont une famille nombreuse.
 
   A la date du 20 décembre 1964, la Fedechar recense, sur l'ensemble du pays, quelque 423 familles d'ouvriers mineurs turcs accompagnées de 874 enfants, soit environ 5 pourcents du nombre d'ouvriers mineurs turcs mariés ou célibataires encore en activité (8.999 mineurs) et 3 pourcents de l'ensemble des recrues turques embauchées entre 1962 et 1964 (13.543 recrues). Cette population turque de 10.296 personnes représente un peu plus de la moitié des ressortissants turcs comptabilisés par le recensement général de la population de 1970.

​

                       Période   Nombre de mineurs   Nombre de familles   Nombre d'enfants
          Décembre 1964            9.047                                423                                874 
          Décembre 1965            7.775                                681                             1.509
          Décembre 1966            5.436                                834                             1.995
          Décembre 1967            4.358                             1.004                             2.479
          Décembre 1968            3.929                             1.221                             3.226
         Septembre 1969            3.553                             1.293                              3.542

​

   Le taux de regroupement familial varie en fonction des bassins houillers. Les bassins de Charleroi (2 %) et de Liège (3 %) se trouvent à nouveau nettement devancés par ceux du Centre (7%), du Borinage (6%) et de la Campine (6%). Le Limbourg reçoit plus de la moitié (52 %) des familles turques dépendant de l'industrie charbonnière belge, suivi par Liège (20 %), Charleroi (12 %), Mons-Borinage (10 %) et le Centre (7 %).
 
   Il est également évident que les charbonnages qui subissent des pertes élevées de main-d'œuvre sont également ceux qui atteignent de faible taux de réunifications familiale. Les charbonnages d'Hensies-Pommerœul ne comptent en 1966 que 30 familles turques installés (surtout dans la Cité des Acacias) sur les 724 ouvriers recrutés entre 1963 et 1965, soit 4 pourcents de regroupement familial, alors qu'en 1952 il y avait 270 familles italiennes installés pour 767 ouvriers italiens recrutés par la société entre 1947 et 1952, soit 35 pourcents.
 
   Le regroupement familial se poursuit dans les années suivantes pour atteindre 1.583 familles, comprenant 5.067 enfants, soit 46 pourcents des effectifs miniers turcs (3.446 mineurs) ou un peu moins de 10 pourcents de l'ensemble des recrues turques employées entre 1962 et 1970 (17.134 recrues), pour une population turque totale de 10.096 personnes à la fin de l'année 1970.
 
   
Les charbonnages De Zolder sont à l'origine de la construction de la première mosquée turque de Belgique. Enfin, la société met à la disposition des ouvriers un terrain mitoyen à la mosquée lequel s'exerce dès les années 1965 - 66 le premier club de football turc de Belgique : le F.C. Anadol. 
 
 
La poursuite des départs vers les Pays-Bas et la RFA
 
   Dans le compte rendu d'une visite ministérielle turque effectuée dans les bassins miniers belges dans le courant du mois de mai 1966, la liste des doléances des travailleurs turcs des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul pointe notamment le refus des autorités belges d'accorder aux ouvriers mineurs étrangers l'autorisation de changer de secteur d'activité au terme de leur première année de travail, même s'ils ont pu trouver un emploi dans un autre secteur de l'économie belge présentant une pénurie de main-d'œuvre.
 
   Des ressortissants de pays tiers tels que le Maroc ou l'Espagne, arrivés massivement par la voie de l'immigration touristique et directement engagés par les entreprises non minières, sont bien moins confrontés que les travailleurs migrants turcs aux restrictions à la mobilité intersectorielle imposées par l'Administration de l'Emploi.
 
   Dans un rapport soumis quelques mois plus tard au ministère turc du travail, l'attaché du Travail à Bruxelles, Nuri Üzel, souligne qu'il n'obtient qu'à de très rares occasions la régularisation de la mise au travail d'anciens mineurs turcs dans d'autres secteurs d'activité après seulement un an de contrat presté au service de l'industrie minière et que les autorités belges se montrent peu disposées à accorder davantage de dérogations en faveur des mineurs de fond étrangers ne possédant qu'un permis de travail B.
 
   Seuls les candidats reconnus inaptes pour les travaux du fond par le troisième examen médical de sélection, les recrues devenues inaptes à la suite d'un accident de travail et ou d'une détérioration de leur état de santé et les travailleurs "touristes" sont autorisés à rejoindre d'autres secteurs d'activité en pénurie de main-d'œuvre, comme la construction, le métal, le bois et le textile.
 
   Il n'est dès lors guère étonnant d'observer une poursuite des départs de mineurs turcs à destination vers les Pays-Bas et la RFA. Cette mobilité de la main-d'œuvre turque devient en outre impossible à contrecarrer. Nombre de ces travailleurs sont occupés depuis plus d'un an, et à moins qu'un nouveau contrat de durée déterminée n'ait été conclu entre les parties - ce qui n'est pas pratiquement jamais le cas, la Police des Etrangers ne peut procéder qu'au retrait de leur titre de séjour.
 
   Les mesures de contrôle dont disposent les pouvoirs publics sont aussi sérieusement limités, voire nuls, lorsqu'il s'agit de travailleurs "touristes" occupés depuis moins d'un an, étant donné que les mesures qui servent à repérer les ouvriers mineurs étrangers encore liés contractuellement à leur entreprise (apposition d'une mention ad hoc dans la Cire et dans le passeport) n'ont jamais été d'application à leur égard. Cette limitation des moyens de contrôle des travailleurs migrants est toutefois voulue par les partisans d'une immigration régulée.
 
   Ce problème de la fuite des ouvriers mineurs turcs pour l'étranger continue à se pose aux sociétés charbonnières encore en activité au début des années 1970. Les pouvoirs publics ne parviennent pas à dégager de solution concrète, si ce n'est à travers une hypothétique revalorisation du métier de mineur de fond auprès des Belges. Les travailleurs étrangers dont les contrats à durée déterminée sont arrivés à échéance ont parfaitement le droit de donner leur préavis quand ils le désirent.

Au cours de sa visite du 13 au 18 mai 1967, accompagné de MM. Ä°hsan Sabri ÇaÄŸlayangil (Ministre des Affaires étrangères) et Ali Naili Erdem (Ministre du Travail), le Premier Ministre de Turquie, Süleyman Demirel est accueilli par plus de 600 travailleurs turcs, venu des quatre coins de la Belgique agitant les drapeaux et brandissant les calicots pour montrer leur sympathie et leur affection.

 

   Le 15, les Ministres turcs, accompagnés de Pierre Harmel (Ministre des Affaires Etrangères) et de Léon Servais (ministre de l'emploi et du travail), assistent au Palais des Congrès à Liège, à la réunion organisée par les travailleurs turcs dont le nombre est évalué à plus de 1600. L’allocution du Premier Ministre de Turquie, Süleyman Demirel, est écoutée avec grand intérêt et applaudie à maintes occasions par les travailleurs turcs.

Rencontre du consul général turc de Bruxelles avec ces compatriotes des Charbonnages d'Hensies-Pommeroeul.

Le 5 mai 1966, le Ministre Turc du Travail et de la Sécurité Sociale, son éminence Ali Naili ERDEM, a visité la société des Charbonnages d'Hensies-Pommeroeul. Lors de cette visite, il a pu rencontrer et écouter les doléances de ses compatriotes mineurs turcs à la Cité des Acacias (Hensies).

Photo de Daniel François : reporter-photographe http://www.photodaniel.eu)

 La convention bilatérale belgo-turque conclue en décembre 1963 prévoit déjà l'envoi de quatre délégués sociaux turcs pour l'encadrement des travailleurs.
 
   En juillet 1964, arrivés en Belgique de quatre délégués sociaux turcs, sous la direction de l'Ambassade de Turquie. Ils doivent contribuer "à faciliter l'adaptation des travailleurs turcs à leur milieu et à leur travail" et assurer "la consolidation de l'atmosphère de compréhension et de confiance réciproques entre les charbonnages et les travailleurs turcs". Ils tiennent des prmanences au sein des charbonnages.
 
   Avant 1966, il n’existe qu’un seul Consulat général de Turquie, situé à Anvers, ayant juridiction pour toute la Belgique. A partir de 1966, un deuxième Consulat général de Turquie est créé à Bruxelles.
 
   Ces délégués sociaux habiteront respectivement dans les régions de Campine (Ä°. DoÄŸusoy et remplacé en mars 1967 par S. DosdoÄŸru), du Centre (Nejat Erimtan), de Charleroi (M. AkdoÄŸan) et de Liège (M. Danış). On y joint quatre délégués sociaux adjoints, il s'agit d'ouvriers turcs occupés dans les charbonnages. 
 
   D’autant que les services spéciaux à la disposition des mineurs turcs ont été légèrement réduits, avec le départ de deux délégués sociaux. N. Erimtan, qui s’occupait uniquement de la région du Centre, se voit rajouter Bruxelles et le bassin de Mons (dont la S.A. des charbonnages d'Hensies-Pommeroeul), M. AkdoÄŸan laisse sa place à son délégué social adjoint, A. Ersoy; S. DosdoÄŸru se voit rajouter Liège.
 
   Les deux derniers délégués sociaux, envoyés de Turquie, rentrent à leur tour, ce qui provoque une réorganisation des services spéciaux destinés aux travailleurs turcs. A. Ersoy prend en charge le Centre (La Louvière) et Mons, en plus de Charleroi, et les régions de Liège et de Campine se retrouvent sous la responsabilité d’un ancien mineur du charbonnage du Hasard (arrivé en 1965), qui a passé un examen pour l’obtention du poste, Muhittin Dursun.
 
   Le responsable des Affaires religieuses de l’Ambassade de Turquie, N. BerberoÄŸlugil, est chargé de répondre aux besoins spirituels des travailleurs turcs pour toute la Belgique. Un professeur de religion musulmane, N. Ceylani, est envoyé en 1967 avec pour mission d’accorder une aide spirituelle à ses compatriotes. A partir d’octobre 1968, le Bulletin des travailleurs turcs insère chaque mois les conseils moraux et religieux de N. BerberoÄŸlugil.
 
     
Les premières associations turques
 
   En 1969, quelques associations turques ont déjà été fondées, sous l’impulsion de l’Ambassade de Turquie. Hormis ces associations, qui sont toutes sous la juridiction turque, on peut trouver des associations de fait, comme celle constituée par les travailleurs turcs à Cheratte.
 
   L'Association des Travailleurs Turcs des régions de Mons et du Centre (4/12/1966) ; l'Association d’Entraide des Travailleurs Turcs de la région de Charleroi (4/12/1966) ; l'Association d’Entraide des Travailleurs Turcs de la région de Liège (13/2/1967) ; l'Association d’Entraide des Travailleurs Turcs de la région de Zolder et environs (14/5/1967) ; l'Association des Travailleurs Turcs de Beringen (3/11/1968) ; le Club Culturel et Sportif Turc de Beverloo–Limburg (23/11/1968) ; le Club Sportif Anadol à Heusden–Limburg (15/1/1969).
 
   Les présidents des Associations d’entraide et des clubs de sport créés par les Turcs se réunissent au bureau du Conseiller du Travail à Bruxelles, le 19 avril 1969. Les associations qui n’ont pas encore convoqué d’Assemblée Générale, sont tenues de le faire entre septembre et octobre, avec l’élection d’un nouveau comité de gestion, sous peine d’être dissoutes. Toutes les associations et clubs doivent envoyer un rapport mensuel en deux exemplaires pour le bureau du Conseiller du Travail, et deux copies au Consulat général compétent pour la juridiction.
 
   L'Association Culturelle et d'Aide des Ouvriers Turcs à La Louvière et son président Osman Kurt (qui remplit aussi la fonction de délégué social turc en l'absence d'Ahmet Ersoy) contribuent également largement à la fondation, en avril 1983, d'une Fédération des Associations des Ouvriers Turcs de Belgique qui réunira à terme l'ensemble des associations turques, établies dans la province du Hainaut. En 1984, la Fédération prend le statut d'Asbl en se fixant pour but de renforcer les liens entre la Turquie et la Belgique ainsi que les coutumes et mœurs du peuple turc. 

 
   Une première forme de participation des immigrés à la vie politique se concrétise avec l’installation des Conseils consultatifs communaux pour immigrés. Les premières expériences ont lieu à Cheratte et à Flemalle-Haute en 1968 et s’étendent par la suite à 33 communes. Des élections sont organisées par la suite pour désigner les représentants. Mais ces conseils vont rapidement décevoir; les autorités communales ne les consultent pas, ou peu, et ne tiennent pas compte de leurs avis.
 
   
Pour ce qui a trait à la scolarité des enfants, trois instituteurs turcs sont chargés, à partir de 1967, de satisfaire leurs besoins en termes d’apprentissage de la langue maternelle. En outre, cinq autres, nommés par le Ministère de l’éducation nationale de Turquie, entrent en fonction en novembre 1969, pour donner des leçons de langue turque, de sciences sociales et de religion, à l’ensemble des enfants qui vivent en Belgique. Mais ces cours ne sont pas intégrés dans les programmes scolaires belges et les classes sont surpeuplées. Il faut noter qu’en septembre 1969, rien qu’au niveau des familles de mineurs turcs (1.293), on comptabilise 3.542 enfants.
 
   L’institutrice N. Yalım est chargée des cours dans les régions de Bruxelles, de Namur et de Gand ; MM. A. Kiraz et M. Güngör dans la région d’Heusden ; Ä°zzet Avcı des régions de Charleroi, de Mons et de Centre ; A. EmiroÄŸlu de
 
   L'augmentation du nombre d'enfants turcs en âge scolaire pousse les autorités turques à envoyer un plus grand nombre d'instituteurs de langue et de culture turques. Ils sont quinze dès 1975.
 
Le compte-rendu de la distribution des prix à l’école du charbonnage d’Hensies– Pommeroeul est l’occasion de valoriser les performances des enfants turcs, au plus grand bonheur des parents. (la page 7 du n°38 du bulletion des travailleurs turcs de septembre 1967).

NATIONALITES   1963   1964   1965   1966   1967   1968   1969   1970   1971   1975

               BELGES     384     415     376     472     446     391     370     351     357     197

     ALLEMANDS      15        13      11         8         8         7         6         4         5        3

          FRANCAIS      46        43      44       66       59       55       60       63       55      32

            ITALIENS    196      197    196     254     223     173      173     163     167      88

  NEERLANDAIS        6         6        5         4         4         4          4         4         3        1

       ESPAGNOLS       26      27      22        29      26       27         24       24       29      23

                  GRECS      95      80       50       48       47       38         32       34       47      32

          POLONAIS      30      30       30       37        33       29        27       27       24        3

         HONGROIS        2        3         1         4          2         1          1         1         1        0
         TCHEQUES        1         0        0         0          0         0          0         0         0        1
               
RUSSES        3         4        3         4          2         3          2         2         1        1
               BALTES        2         3        2         2          2         2          1         1         1        0
               
SUISSES        0         1        1         1          0         0          0         0         0        0
       PORTUGAIS        0         0        0         1          1         1          1         2         2        9

YOUGOSLAVES        0         0        0         0          0         0          2         3         2        1
              AUTRES        8         8        4         6          5         3          2         2         2        0
                 
TURCS      86     117    176     223      188     231      183      168    175     229
        ALGERIENS       4       11      10       27        24       25        38        34      42       42
     
MAROCAINS      11      16       10       40        45       75        65        76      87     112
                 TOTAL   915     974     941  1.226   1.115  1.065      991      959 1.000     774

Les syndicats et les ouvriers turcs : 
 
   Avec l’arrivée des premiers convois de travailleurs turcs, la CSC va mobiliser ces structures pour essayer de faire adhérer un grand nombre de ces nouveaux immigrés au syndicat. Des réunions et des permanences sont organisées en faveur des mineurs turcs, avec l’aide bénévole d’interprètes. L’expérience est tentée tout d’abord à Liège avec le soutien de Muharrem Bilgin. Celui-ci apporte également son aide à l’élaboration du bulletin de la CSC pour les travailleurs turcs (Emek) dès août 1965. En 1966, il accepte la proposition de la CSC de devenir le premier permanent national turc et responsable de la nouvelle section turque. Il occupera cette fonction jusqu’à sa retraite en mars 1974, et sera remplacé par Muharrem Karaman à ces fonctions. En 1970 déjà, H. YavaÅŸ devient le premier délégué syndical CSC turc à Namur, dans l’entreprise de construction où il travaille.
 
   En ce qui concerne la Fédération Générale des Travailleurs de Belgique (FGTB), elle décide en 1965 de relancer son service des travailleurs migrants au niveau interprofessionnel. Des publications en langue étrangère sont éditées, et un service d’assistance sociale et juridique est organisé pour les immigrés. Selon M.-Th. Coenen, cette structure est peu efficace et assez marginale. C’est ainsi qu’est créée avec l’appui du syndicat, mais en toute autonomie par rapport à lui, l’Union des Travailleurs de Turquie en Belgique (BTÄ°B en turc) en 1972, avec notamment Hüseyin Çelik, permanent turc de la FGTB. Ce type d’association prend en charge la dimension sociale et culturelle des problèmes mais constitue aussi un lien précieux entre la communauté étrangère et le syndicat dans l’expression des revendications professionnelles.
 

Obtention de la nationalité belge : 
 
   La réforme du Code de 1991 a eu comme objectif d’instaurer le droit à la nationalité pour les étrangers nés sur le territoire. Tout d’abord, pour les enfants de la troisième génération dont l’attribution de la nationalité belge est automatique et définitive (la nationalité belge est attribuée automatiquement aux individus de moins de 18 ans nés en Belgique dont l’un des parents est également né en Belgique et y a eu sa résidence pendant au moins cinq ans au cours des dix années qui ont précédé la naissance).
 
   Ensuite, pour les enfants de la seconde génération dont le Code distingue : l’attribution pour les enfants âgés de moins de 12 ans qui résident sur le territoire depuis leur naissance et dont les parents y ont résidé durant les dix dernières années et la déclaration d’acquisition pour les étrangers âgés de 18 à 30 ans nés en Belgique.
 

La double nationalité : 
 
   L’acquisition de la nationalité belge n’entraîne pas la perte de la nationalité turque. En conséquence, de nombreux individus résident en Belgique avec la double nationalité et sont soumis à des obligations envers les deux Etats (service militaire en Turquie, obligation du vote en Belgique, etc.).
 
   Pour les autorités belges, la personne qui possède une double nationalité dont la nationalité belge, sera considérée comme belge d’un point de vue administratif. Statistiquement, cela implique que la seconde nationalité n’est pas mise à jour et qu’il est impossible de déterminer le nombre d’individus ayant la double nationalité belge/turque.
  
 

Trois vagues d'immigrations turques : 
 
   John Lievens distingue trois vagues d’immigration qui coïncident presque avec les trois phases détaillées ci-dessus (John Lievens est professeur agrégé au Département de Sociologie de l'Université de Gand, où il enseigne la statistique et de la démographie).
 
   Tout d’abord, la première vague d’immigration (1960-1974) est caractérisée par l’entrée des travailleurs de nationalité turque et l’arrivée des premières familles.
 
   La seconde vague (1975-1980) se singularise par l’arrêt des entrées de travailleurs et la poursuite de la réunification des familles.
 
   Enfin, la troisième vague d’immigration (de 1980 à aujourd’hui) se distingue des deux autres du fait que les entrées légales de ressortissants de nationalité turque se font principalement par le biais du mariage.
 

Grève aux charbonnages d'Hensies-Pommerœul : en 1967, en 1971 et en 1973
 
   Le jeudi 4 octobre 1973, une quarantaine d'abatteurs de la pause de l'après-midi du siège "des Sartis" des charbonnages d'Hensies-Pommerœul débraient en raison d'un litige qui les oppose à un porion. Ils expriment un certain nombre de griefs relatifs aux salaires, aux amendes et aux mauvaises conditions de travail dans leur taille, dues en particulier aux fortes émanations de poussières. La grève est totale dès la pause du matin du lundi 8 octobre. Les ouvriers mineurs turcs forment le piquet de grève et empêchent les travailleurs volontaires de descendre. Au terme de la médiation conduite par un délégué syndical FGTB, une centaine de volontaires sont autorisés à reprendre leur poste.
 
   Une première réunion de conciliation entre les délégations syndicales - celle de la FGTB, majoritaire avec cinq délégués syndicaux contre deux pour la CSC, comprend deux délégués turcs - et patronales et l'administration des Mines ne donne aucun résultat probant, la direction défendant bec et ongles le porion incriminé et refusant tout compromis.
 
   Lors d'une seconde séance de conciliation, la demande formulée par la délégation syndicale FGTB de changer de taille les abatteurs en grève est également rejetée par la direction. Le mercredi 10 octobre, une troisième séance de conciliation accouche d'une proposition de déplacement de la moitié des abatteurs vers une autre taille, mais celle-ci est immédiatement rejetée par les grévistes. Même des manœuvres refusent d'encore travailler sous les ordres de ce porion.
 
   La direction d'Hensies-Pommerœul se refuse quant à elle à consentir à la proposition alternative avancée par la délégation syndicale FGTB, à savoir le déplacement du porion. Entre-temps, la grève est redevenue générale. Le jeudi 11 octobre, une nouvelle séance de conciliation, tenue dans les bureaux de l'Administration des Mines à Mons, débute par un véritable réquisitoire du délégué FGTB Jabot contre la direction d'Hensies-Pommerœul.
 
   Le délégué FGTB exige dorénavant le déplacement définitif du porion et proteste à la fois contre les accusations de provocations lancées par la direction à l'encontre de certains ouvriers et l'intervention de la gendarmerie à laquelle elle n'a pas hésité à faire appel pour réprimer la grève. La revendication du déplacement du porion est soutenue par la délégation syndicale CSC, qui fait par ailleurs remarquer que le porion avait déjà puni pas moins de 18 ouvriers en un an. Cette question n'est du reste pas le seul problème à régler, étant donné que les griefs du personnel ouvrier portent aussi et surtout sur l'application des règles de sécurité et d'hygiène, les salaires et les amendes.
 
   La direction des charbonnages d'Hensies-Pommerœul reconnaît bien volontiers le zèle répressif auquel le porion s'est laissé aller le jeudi 4 octobre, en notant pas moins de 16 noms sur son carnet de punition, mais cherche à relativiser cet excès en soulignant le fait qu'aucune amende n'a été infligée et que le porion s'était contenté de menacer de sanction ces abatteurs, partis aussitôt en grève "de manière intempestive". Elle justifie également son refus de déplacer un porion "qui n'a pas démérité" par le malaise qu'une telle décision ne manquerait pas de provoquer parmi le personnel de maîtrise.
 
   Un délégué syndical CSC accuse pour sa part, à mots à peine couvert, la direction d'être la principale responsable de ce climat social délétère. Confronté à une séance de conciliation particulièrement tendue, le conciliateur de l'Administration des Mines reprend la négociation en main et, au terme d'entretiens séparés avec les délégations patronales et syndicales, parvient à arracher un accord : les abatteurs resteront à leurs postes et le porion ne sera plus en contact avec les ouvriers durant le temps nécessaire. Un surveillant turc lui sera attaché afin d'améliorer le climat relationnel entre tous les ouvriers. Si le travail reprend le même jour, les contentieux relatifs aux salaires, aux règles de sécurité et d'hygiène et aux amendes restent quant à eux encore en suspens.

 
Décembre 1978, La Cité des Acacias, Hensies.
 
   La Cité des Acacias à Hensies est une sorte de ghetto-bidonville à l'ombre des anciens charbonnages d'Hensies-Pommeroeul. Isolée du reste de la commune, une cinquantaine de familles immigrées turques et une ou deux marocaines y vivent depuis de nombreuses années dans des conditions particulièrement déplorables. Les maisons appartiennent à la société des Charbonnages d'Hensies-Pommeroeul.
 
   Le projet du Canal de Pommeroeul à Hensies fut mis à exécution en 1970 (pour recréer le lien entre Mons et Condé-sur-Escaut : ce nouveau canal reprend l'itinéraire de l'ancien canal depuis Hensies et permet ainsi d'éviter le détour jusqu'à Péronnes), il comportait le creusement de 6 kilomètres, la construction de deux écluses, de deux ponts en béton, un pont métallique pour le passage des trains. L'emprunt de cette voie d'eau raccourcirait le trajet de près de 30 km et moyennant la construction de deux écluses, celles-ci, remplaceraient les six qui existaient avant sur l'ancienne liaison (hors service depuis 1965).
 
   Le 27 décembre 1978, le chantier des grands travaux (construction d'un pont et le passage du canal Nimy-Condé au travers de la Cité des Acacias) doit s'ouvrir et les familles doivent vider les lieux pour le 10 janvier 1979.  En février, la cité des Acacias a été rasée et le chemin de fer est démonté.
 
   Ce nouveau canal a été ouvert à la navigation le 1 er juillet 1982. Il aura donc fallu 12 ans, ni plus ni moins, pour aménager l'ensemble Pommeroeul - Hensies, seul canal qui permet le passage des bateaux de 1.350 T. En 1992, à cause de l'envasement total de la section française (cette section fait partie du canal historique Mons-Condé-sur-Escaut et n'a jamais été modernisée), fermeture à la navigation de la section belge Pommerœul-Hensies. Ce qui oblige les péniches à faire un détour d’une demi-journée par Péronnes.
 
   En 1999, c'est le début des études de la future liaison Seine-Escaut2. Le canal Pommerœul-Condé en serait un des maillons et doit être remis à la navigation. C'est là que le problème se pose : que faire du 1,5 millions de m³ de sédiments présents dans la section française du canal ? Ce n'est pas tant le volume des boues qui pose problème. La toxicité et la présence des métaux lourds rendent la tâche bien plus épineuse. 
   Peu importe, la Région Wallonne nous pond l'idée suivante en 2003 : stocker et traiter ces fameuses boues toxiques sur le site de Malmaison. Ce site est à proximité de zones habitées (Bernissart, Pommeroul et Hensies) et d'une réserve naturelle (les marais d'Harchies).


Ni une, ni deux, les communes précitées ainsi que l'association CPB3 se battent contre ce projet et obtiennent, en 2009, son annulation en s'appuyant sur des analyses de l'Institut Pasteur qui démontre la dangerosité du projet.
 
   La Région Wallonne abandonne donc son projet de lagunage pour la technique du filtre-presse sur barge (je vous passe les détails mais ça a l'air sympa comme tout). Une victoire de bien courte durée cependant... L'Etat français envisagerait la création d'un centre 14 fois plus grand que Malmaison à proximité directe de Bernissart. Il va sans dire que la levée de boucliers est immédiate et nous revoilà reparti pour un délicat dossier juridico-politiquo-franco-belge.

   Au final, il faudra bien se décider à évacuer ces sédiments. Ce ne seront pas les Belges qui s'en chargeront mais l'addition sera payée par les deux pays. Gaspillage, polémique, menace sur l'environnement : bienvenue au canal Pommerœul-Condé-sur-Escaut.

          L’évolution du bassin du couchant de Mons :

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   Le bassin de Mons-Borinage comptait début 1966 deux sociétés et quatre sièges en activité. L’exploitation du dernier siège a pris fin le 31 mars 1976 (charbonnages d'Hensies-Pommerœul). La production du bassin a décru de 1.383.500 tonnes en 1966 à 144.800 tonnes en 1975. Les deux sociétés du bassin, dont l’une procédait d’une fusion intervenue en 1959, étaient affiliées indirectement à la Société générale de Belgique.
 
          1) Les Charbonnages d’Hensies-Pommerœul :

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   La S.A. Charbonnages d’Hensies-Pommerœul, à Hensies, a été constituée le 11 octobre 1912. Son capital s’élève actuellement à FB 218 millions et est représenté par 97.500 parts sociales.

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   La Sofina détient une participation de 5,2 % dans les Charbonnages d’Hensies-Pommerœul, ainsi que dans une société apparentée, Hensipar (capital ramené à FB 61 millions en avril 1971), à Bruxelles. La dernière augmentation de capital d’Hensipar – décidée par l’assemblée générale extraordinaire du 15 novembre 1966 – a eu lieu après apport, par les Charbonnages d’Hensies-Pommeroeul, de 26.700 parts sociales Carbochimique, de 5.544 actions U.C.E. Linalux-Hainaut et d’une somme complémentaire de FB 2.317.800 tonnes. Cet apport a été rénuméré par l’attribution, aux Charbonnages d’Hensies-Pommeroeul, de 97.640 parts sociales Hensipar.

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   Au 31 décembre 1975, le bilan des Charbonnages d’Hensies-Pommerœul présentait un poste Participations de FB 1,47 millions et un poste Portefeuille-titres de FB 166,38 millions. Il s’agit essentiellement de participations à caractère professionnel (Comptoir belge des charbons, Comptoir belge des cokes, Comptoir général d’approvisionnement,…), de participations immobilières (Coopérative immobilière de Belgique "Copibel", Le Foyer Hensitois, S.A. Epargne et Foyer,…) et de participations très minoritaires dans des sociétés du groupe de la Société générale (Société Carbochimique, Société de Traction et d’Electricité,…) ainsi que, à l’instar de nombreuses autres sociétés charbonnières, dans U.C.E. Linalux-Hainaut (qui coordonne la production des centrales électriques industrielle).

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   L’activité extractive de la société a pris fin le 31 mars 1976.

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   La production a évolué comme suit au cours des dix dernières années (en millions de tonnes) :

La production d’électricité de la société s’est élevée en 1975 à 53.800.000 KwH (en 1974 : 76.300.000).    
 
          2) Les Charbonnages du Borinage :

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   La S.A. Charbonnages du Borinage, à Cuesmes, a été constituée le 29 décembre 1959 au capital initial de FB 600 millions, ramené à FB 300 millions en janvier 1962. Elle a concentré l’exploitation de sociétés charbonnières du Borinage qui dépendaient de la Société générale de Belgique et de la Brufina Cgroupe de Launoit). Les conditions de transmission et de reprise de l’exploitation ont fait l’objet de critiques.

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   Les sociétés concernées par le regroupement ont vu leurs apports rémunérés par l’attribution de participations dans la nouvelle société, dont le capital était en conséquence réparti comme suit :
     20,1% aux Charbonnages du Levant et des Produits du Flénu,
     34,-% aux Charbonnages Unis de l’Ouest de Mons,
     2,9 % à Cockerill-Ougrëe,
     34,-% aux Charbonnages du Hainaut,
     8,8 % aux Charbonnages du Rieu du Coeur et de la Boule réunis.

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   La Société générale de Belgique était le principal actionnaire des Charbonnages du Levant et des Produits du Flénu (44,8 %) et des Charbonnages Unis de l’Ouest de Mons (22 %).

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   La Brufina était le principal actionnaire des charbonnages du Hainaut (22,9 %) et des Charbonnages du Rieu du Coeur et de la Boule réunis, mais ces participations ont cessé de figurer au portefeuille de la Brufina en 1963 et ont figuré au portefeuille de la Société générale de Belgique fin 1969.

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   Les quatre sociétés principales actionnaires des Charbonnages du Borinage ont été dissoutes et mises en liquidation.

   Les Charbonnages du Borinage étaient, avec une participation de 39,5 %, le principal actionnaire du Comptoir général d’approvisionnement "C.G.A." (capital porté à FB 30 millions en décembre 1967), à Haine-Saint-Paul. Une filiale des Charbonnages du Borinage, la S.A. Coke et sous-produits de Tertre, a été dissoute en décembre 1970.

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   Les fermetures de sièges se sont échelonnées jusqu’au 31 mars 1971, date à laquelle toute activité extractive a pris fin.

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   La production de houille avait évolué comme suit au cours des derniers exercices (en milliers de tonnes) :  

Depuis l’arrêt de l’activité extractive, les activités des Charbonnages du Borinage sont limitées à la réparation des dégâts houillers et à la gestion et à la vente des biens domaniaux.

   Une proposition de loi a été déposée en avril 1975 par le député P.S.B, de Charleroi E. Glinne, tendant à céder les cinq concessions exploitées par la S.A. des Charbonnages du Borinage à une société de droit public à créer, Saborgaz, qui aurait pour objet tout travail de recherche, d’expérimentation, d’exploitation, de valorisation et de commercialisation de tout procédé de liquéfaction, de dégazage ou de gazéification des gisements de mine de houille. Cette proposition de loi prévoyait la cession de ces concessions pour la valeur de 1 franc, "comme la S.A. des Charbonnages du Borinage est en déconfiture et que son unique créancier est le trésor public.
 
                                                                                         1966
 
    Le 31 août 1966, on déplore 5 morts au siège "Louis Lambert" à cause d'un coup de grisou. 
    Ce même siège cessera ses activités le 9 septembre 1966.

 
                                                                                         
1972
 
   A partir de juillet 1972, la pension complète a été accordée après 27 ans de présence au fond au lieu de 30 ans.
 
                                                                                        1975
 
   La décision de fermer le siège "des Sartis" des charbonnages d'Hensies - Pommeroeul à la date du 31mars 1976 fait partie de la décision globale en matière de politique charbonnière pour la période 1975 - 1985 qui a été prise le 13 février 1975 par le C.M.C.E.S.
 
                                                                                        1976
 
   Date mémorable pour la société, le 31 mars 1976 à 15 heures 20 minutes, elle arrête ses activité.
   Avant la fin de septembre 1976, les puits de "Louis Lambert" (profonds de 930 m) et "des Sartis" (profonds de 720 m), ont été complètement remblayés.

 
   Situation du personnel au 31 mars 1976 :
 
           Pensionnés de retraite                                                 93
           Pensionnés invalides                                                  420
           Prépensionnés                                                             276
           Reclassement en charbonnage (vers Charleroi)     232
           Reclassement dans d'autres industries                      36
           Réadaptation professionnelle                                      28
           Cas spéciaux                                                                   28
           Personnel de liquidation                                              23
           
           TOTAL                                                                       1136
   
                                                                                           
1988
 
   Le 25 mai 1988, une convention est signée entre la S.A. Entrema, chargée de la liquidation du charbonnage, et l'Université de Mons-Hainaut qui accepte le dépôt des archives de la société et en confie la gestion à l'Asbl Saicom.
 

 Les marais d'Harchies-Hensies-Pommeroeul 
 
   Ces nappes d'eau, roselières, plages humides et sèches, etc. qui occupent en partie les territoires de Pommeroeul, Hensies et Harchies, s'étendent sur une superficie d'environ 500 Ha. Les nappes d'eau (+/- 240 Ha) ont pris naissance vers 1928 à cause de deux phénomènes : les affaiblissements miniers d'une part et les difficultés d'écoulement des eaux, d'autre part.
 
   Des études ornithologiques ont révélé que plus de la moitié des espèces nichant en Belgique s'y reproduisent. C'est en plus une valeur internationale comme relais de migration.
 
   
"(...) Au cours des années 1963, 1964, 1965, 1970 et 1971, nous avons recruté, à l'intention de l'industrie charbonnière belge, 14.364 travailleurs turcs. De ce nombre, 3.956 étaient encore occupés au 31 décembre 1972 dans les charbonnages belges.
 
   Selon les renseignements en notre possession, les mesures de rationalisation envisagées pour 1973 pourraient entraîner la fermeture des sièges suivants :
 
      - Siège "Le Quesnoy" du Charbonnage Bois-du-Luc
      - Siège "Espérance" du Charbonnage Espérance-Bonne-Fortune
      - Siège "Sainte-Marie" du Charbonnage Petit-Try
      - Siège "Micheroux" du Charbonnage Hasard (...)

 
   
Etant donné les perspectives d'avenir  de notre industrie et compte tenu du fait que les premiers travailleurs turcs sont arrivés en 1963, il est improbable que ces travailleurs puissent encore faire une carrière complète (27 ans en 1990) donnant droit à la pension."
 
   Extrait de la lettre de Jean Soudon, chef du service de la main-d'œuvre et de la formation professionnelle de la Fedechar, à la Compagnie Belge d'Assurances "La Concorde" (26 février 1973).
 
   Avec la fermeture du dernier siège du charbonnage de Bois-du-Luc (le puits du Quenoy à Trivières) le 30 juin 1973, la plupart des quelques 150 ouvriers mineurs turcs encore en activité sont redirigés vers les charbonnages d'Hensies-Pommerœul, du Roton, d'Aiseau-Presles et de Monceau-Fontaine.

 
   Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'Europe était à reconstruire. Les industries devaient tourner à plein régime afin de relancer une économie qui était détruite. Les charbonnages belges ont participé activement à cette relance. Dans la région de Mons-Borinage, entre 1945 et 1947, cinq camps ont accueilli pas moins de 8.000 prisonniers de guerre allemands. Ces camps étaient situés à Tertre (800 prisonniers), à Hensies (1.300), à Boussu (1.100), à Wasmes (1.700) et à Flénu (3.000). Ils logeaient dans des baraquements. Au départ des prisonniers allemands, ce seront les ouvriers italiens qui vont occupés ces lieux.


   L’émigration vers l’étranger devient ouvertement pour la Turquie une politique d’État : le Is ve Isçi Bulma Kurumu, l’Office du travail et du recrutement des travailleurs (OTRT), se voit chargé d’organiser la gestion de cette émigration, et de celles à venir. En effet, la croissance économique des Golden Sixties qui met en compétition avec l’Allemagne fédérale, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, l’Autriche, la France et la Suède pour la main-d’œuvre immigrée, conduit ces différents pays à signer des accords avec la Turquie entre 1964 et 1967.
 
   Les gouvernements turcs successifs vont poursuivre cette politique d’encouragement à l’émigration pour pouvoir continuer à faire face aux graves problèmes de chômage endémique et de déséquilibre de la balance des paiements. Cette émigration constitue avant tout à leurs yeux une importante source de devises. Dans les années 1970, les envois d’argent par les émigrés turcs dépassent un milliard de dollars par an, et atteignent les deux milliards dans les années 1980. Entre 1961 et 1975, 804.917 ouvriers turcs sont recrutés officiellement par les pays européens. Quant aux autres travailleurs qui se rendent à l’étranger par leurs propres moyens (soit en ‘touristes’), aucune statistique ne les mentionne, mais on peut estimer leur nombre à plus de 100.000.

 
      Je suis le paysan, d'Istanbul, je ne connais que Sirkeci.
      Je suis l'anatolien de la terre sèche et poussiéreuse, je prends le chemin vers les grottes crasseuses.
      Je suis l'élu qu'on vient chercher pour scier du bois.
      Je suis le voyageur, je traverse à pied les montagnes de Suisse.
      Je suis le Touriste, une halte en Autriche, un soir en Allemagne, un séjour en Hollande et quelques mois en France.
      Je suis le Türk accueilli à Zaventem.
      Je suis de passage, je ne reste pas.
      Je suis la femme laissée au pays, j'attends des nouvelles de mon avenir.
      Je suis un travailleur, je veux aussi une salopette comme lui: Åžef! Salopri ÅŸef !
      Je suis le p'tit Türk, une tape sur mon épaule, "Salut mon ami!"... Monami? Encore une insulte! Tiens, voilà mon poing.
      Je suis le barbare qui fait baisser les regards et qu'on montre du doigt.
      Je suis l'affamé, je caquète pour un œuf et meugle pour un bœuf.
      Je suis le propriétaire, il paraîtrait que je suis devenu un gavur.
      Je suis né Türk, assimilé sur papier.
      Je suis la génération perdue, un genou sur chaque cultures, le front sur ma foi.
      Je suis né Belge, de nationalité double.
      Je suis l'européen dénaturalisé par mes pairs.
      Je suis le cadavre, je retourne à ma terre. 
 
                    Poème du photographe : Hakan ÅžimÅŸek
 

SOURCE :
 
KISACIK Fendiye :
"L’immigration turque dans l’industrie charbonnière belge". Eléments pour la compréhension de la politique de recrutement et gestion de la main-d’œuvre, ULB, Mémoire de licence en Histoire, 2001 (A. Morelli). 
Elle est une citoyenne belge d'origine turque. Née en 1974, elle est licenciée en Histoire, spécialisée dans l'histoire de l'immigration turque en Belgiue. Elle est également chercheuse à l'Université Libre de Bruxelles dans le cadre d'un groupe d'Etude sur l'Histoire de l'Immigration.
 

Mazyar Khoojinian : "L’accueil et la stabilisation des travailleurs immigrés turcs en Belgique, 1963-1980" (Mémoire de licence en Histoire).
                                  "La migration turque: l’adaptation sociale et culturelle des migrants turcs en Belgique (1960- 1990)". "L'immigration, une main-d'œuvre d'appoint temporaire ?, Marché du travail, politiques étatiques et trajectoires des travailleurs turcs recruté pour l'industrie charbonnière belge (1956-1980)" (2 volumes) (Thèse présentée en vue de l'obtention du grade académique de Docteur en Histoire, Art et Archéologie).   
Il est citoyen belge d'origine iranienne. Née en 1982, doctorant en histoire, il est chercheur à l'Institut d'Etudes Européennes de l'Université libre de Bruxelles. Il est attaché au projet « Migration turque » depuis novembre  2005 au CEGESOMA (Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines. Il est aussi vice-président de l'asbl CARHIMA (Centre d'Animation et de Recherche en Histoire des Migrations).
 

SCHOONVAERE Quentin : "Etude démographique de la population d'origine turque en Belgique", 15 mai 2013 (Centre de recherche en démographie et sociétés (Demo, UCL).
Il est chercheur en démographie à l'Université Catholique de Louvain. Il est l'auteur d'un triptyque sur l'étude de la migration. La première étude concernait le Congo et a été publié en 2010, la deuxième parlait de la Turquie en mai 2013, la dernière, qui sort cette année, porte sur la migration des populations d'origine marocaine.
 

YEGIN Denis : "Les travailleurs turcs en Belgique et leurs problèmes".
 

Philippe Sunou : "Les Prisonniers de guerre allemands en Belgique et la Bataille du charbon, 1945-1947" (mémoire de licence réalisé entre 1970 et 1972, publié en 1980 par le centre d'histoire militaire). "La Convention de Genève et le régime disciplinaire des prisonniers de guerre allemands en Belgique de 1945 à 1947" (dans Actes du XLIII Congrès de la Fédération des Cercles d'Histoire, Archéologie et Folklore de Belgique).
Il est licencié et agrégé en histoire de l'université de Liège. Il a enseigné l'histoire dans le réseau de la communauté française pour la formation d'enseignants à Mons et à Tournai.

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